The Illusion of Infinitesimal on Baksaru 027 – 2014
« Le génie est l’aptitude de voir les choses invisibles, de remuer les choses intangibles, de peindre les choses qui n’ont pas de traits. » (Joseph Joubert, Pensées)
Immersound. Ce concept de concert initié par France Jobin repose sur un espace d’écoute spécifique, où le confort physique de l’audience est optimisé, afin d’explorer de nouvelles sensations lors de l’écoute et d’étendre au possible les frontières de l’immersion. Avec The Illusion of Infinitesimal, l’artiste montréalaise nous invite dans une dimension tout autre, moins palpable, dont notre esprit peine à saisir les contours. Il fait suite au grand Valence, premier album pour lequel elle délaissa son projet i8u — à la discographie conséquente — pour publier sous son nom, album alors sorti en 2012 sur le très exigeant label Line de Richard Chartier. Son nouvel opus a vu le jour il y a un mois sur l’excellent label français Baskaru et poursuit ses travaux vers l’infiniment petit.
The Illusion of Infinitesimal nous plonge dans un voyage au cœur du son, une immersion aussi riche que trompeuse. En l’abordant au seuil de notre perception auditive — seuil auquel il a été masterisé — ou à extrêmement fort volume, l’expérience est sensiblement différente. Les motifs, en apparence simple, gagnent alors en complexité, et de nouvelles forces apparaissent, tapies dans ces interstices sonores.
Alors que Valence proposait un parallèle entre la probabilité qu’une composition éveille en nous des émotions et les probabilités issues des théories quantiques des couches de valence, The Illusion of Infinitesimal s’inspire de l’ambivalence des particules atomiques. Ces points infinitésimaux dont on connaît néanmoins avec précision certaines propriétés (leur moment angulaire — ou spin —, par exemple, qui ne peuvent prendre que certaines valeurs). Des grains de taille nulle qui, si l’on y regarde de plus près, auraient un mouvement de rotation mesurable. Ainsi, en inspectant à plus haut volume les compositions de France Jobin, on en découvre les méandres. Ce que l’on croyait percevoir à faible volume n’était que la partie émergée du microcosme sonore fourmillant qui se cachait dans l’infime.
Le lac de réverbération impassible qui s’offre à nous sur -1/2 est en réalité l’hôte d’un ballet de fréquences. Ultrasons et aigües éclosent délicatement à sa surface avant de se diluer dans cet écho imperturbable. Des lignes de médium se joignent ensuite à la composition, troublant l’espace d’un courant plus grave, avant que de dernières fréquences limpides viennent ricocher sur cette étendue d’eau assombrie, pour s’y dissoudre dans un dernier tournoiement. Morceau central du triptyque de l’album, 0 oscille, lui, dans un va-et-vient de sonorités que l’on croirait acoustiques. Un mouvement de pendule qui baignerait dans des nappes presque imperceptibles, mais qui prennent progressivement de l’ampleur, libérant des ultrasons dans leur envol incandescent. Plus imprévisible dans son déroulement, +1 s’ouvre sur une effervescence sonore de hautes fréquences. Quelques textures apparaissent de nouveau, discrètes, rampantes, et dont le niveau de détail relève de l’orfèvrerie, alors que l’on s’enfonce lentement vers la quintessence du son. Un aller simple qui envahit graduellement l’espace, pour en occuper chaque pli et nous submerger sous une vague émotionnelle.
En s’immisçant au sein de la matière du son, France Jobin nous en dévoile son essence. Elle nous présente un tableau sonore à deux niveaux d’écoute dont certaines couleurs nous échappent, une œuvre qu’elle esquisse dans le visible et l’imperceptible pour mieux traduire cette illusion de l’infiniment petit. Un grand disque qui révèlera toute sa complexité sur une installation adéquate, où l’on se plaira à tenter l’expérience au seuil de notre perception, avant de monter sensiblement le volume pour laisser alors éclore tout le talent de cette artiste.
Johann Tournebize